Débauche textuelle.

Mikaël MUGNERET

Lundi 20 avril 2116, 6h30. Le radio-réveil se mit en marche et m’extirpa de ma demi-torpeur. J’avais mal dormi, je sentais que la journée allait être longue et pénible. J’écoutais l’émission. A moitié pour tuer le temps, à moitié pour me changer les idées. Enfin… pour ce dernier point, je n’étais peut-être pas tombé sur la meilleure émission…

— Écoute jeune homme, dit le Doc, il faut bien que tu comprennes que ce n’est pas sale. Ton corps change, tes envies aussi. Il n’est pas anormal que tu t’adonnes à l’auto-poésie, c’est parfaitement naturel…

Auto-poésie… Poésie… Toutes ces choses pourraient être si simples mais sont si compliquées.

Sarah commença à s’éveiller doucement. Elle se tourna vers moi, les yeux mi-clos.

— Tu es sûre que ta femme ne se doute de rien pour nous deux ?

— Mais non, je te l’ai déjà dit. Elle croit qu’on est juste amants.

— Mouais. Enfin je n’aime pas cette situation. Tu devrais lui parler.

— Oui, je sais, tu me l’as déjà dit hier soir…

— Je t’aime Marc, j’aimerais que tu fasses un choix, que nous ayons une relation exclusive tu vois. C’est trop demander ?

— Mais je tiens à elle…

— Tu sais, je ne suis pas à proprement parler jalouse, j’ai juste quelques principes auxquels je tiens et que j’aimerais appliquer dans ma vie, avec toi. Je ne te demande pas de couper les ponts. Vous pourrez continuer de vous voir, de manger ensemble de temps en temps, de discuter, de baiser, etc. Mais poétiquement, j’aimerais que tu me sois fidèle. Je ne crois pas que ce soit trop demander.

Évidemment, en fonction des attentes sociales ordinaires on va dire, tout cela peut paraître normal et relativement simple. Il suffit de s’aimer vraiment qu’ils disent. Mais moi, je le sens au plus profond de moi, je ne suis pas fait pour me couler dans ce moule. Je l’ai déjà vécu, je sais que je peux éprouver une attirance poétique pour plusieurs personnes simultanément. Bon, c’est assez banal vous me direz peut-être. Sauf qu’en outre, je ne ressens aucun besoin d’exclusivité poétique. Une fois, j’ai surpris mon ex en train de lire des vers à un autre homme que moi. En soi, ça ne m’avait fait ni chaud ni froid.

Il faut dire que ça faisait un moment que je m’en doutais. Je lui avais dit :

— Chérie, tu sais, je crois que tu en pinces pour Hervé.

— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Ça va pas la tête ?

— Mmmh, il y a certains signes. J’ai retrouvé un marque page qui n’était pas à moi dans le lit conjugal. Comme par hasard, il ressemble fort à ceux qu’utilise Hervé. Mais tu sais, tu peux m’en parler, ça ne me dérange pas. Si tu veux, on peut ouvrir notre couple, s’autoriser mutuellement quelques escapades poétiques avec d’autres personnes, je sais que certains couples font ça et ça fonctionne bien.

— Ah non non non, il en est hors de question, tu ne m’impliqueras pas dans ce genre de perversité ! Et pourquoi pas un plan poétique à trois pendant qu’on y est ?

— Oui, pourquoi pas ? Ou à plus de trois même !

Sur ce, j’avais pris une gifle. Je l’avais sans doute bien cherché quelque part.

Peu de temps après, je la surprenais donc à lire des vers à cet Hervé.

— Je peux tout t’expliquer, c’est pas ce que tu crois !

— Mais bien sûr que si c’est ce que je crois. Mais je te l’ai dit, ça ne me dérange pas, à partir du moment où nous continuons de faire et de lire de la poésie ensemble.

Mais peu de temps après, nous rompions. Et un peu plus tard, devinez quoi ? Elle était en relation poétique officielle avec Hervé ! Je le savais…

Bref, pourquoi imposer et s’imposer l’exclusivité poétique ? Pour moi ça n’a aucun sens. Mais quand j’explique ça autour de moi, je passe au mieux pour un original. Ah si seulement la poésie pouvait être aussi simple et naturelle que, mettons, le sexe.

Tout le monde trouve naturel et normal de partager du sexe avec plusieurs personnes, et même plusieurs personnes en même temps. Tout le monde trouverait très étrange et inconvenant qu’on applique à la sexualité tout le carcan normatif qui est de rigueur en poésie.

— Je vais essayer de lui parler ce soir après le travail, repris-je, à l’adresse de Sarah. Nous avons prévu de nous rendre à une session de slam sexe organisée au Rock Café. L’ambiance détendue devrait se prêter à ce genre d’aveu…

Sur ce, nous nous échangeâmes quelques vers et je partis après avoir avalé un café rapide et pris une bonne douche. La station de métro n’était qu’à quelques pas. Mes pieds foulèrent le quai au moment précis où un train freinait pour s’immobiliser. C’était l’heure de pointe.

Lorsque les portes s’ouvrirent, une foule se précipita au dehors, pendant qu’une autre attendait son tour pour entrer. J’eus la chance de me faufiler sur un siège qui venait de se libérer avant que quelqu’un d’autre y pose son séant. Tant mieux car j’en avais pour une demi-heure de trajet avant ma station de destination. Je regardai la foule compacte. Quelques personnes papotaient, beaucoup avaient les yeux rivées sur leur téléphone ou lisaient le journal, quelques couples et trouples s’adonnaient au sexe ou aux caresses érotiques, au fond du wagon il y avait un petit groupe de cinq potes qui se caressaient langoureusement, plusieurs personnes se masturbaient dans leur coin pour passer le temps… Bref, une scène habituelle dans le métro.

Soudain, mon attention fut attirée par un jeune homme qui s’adressait en des termes bien irrespectueux à une jeune femme installée à côté de lui.

— Mais pourquoi tu veux pas venir chez moi lire du Verlaine avec moi ? J’t’assure tu le regretterais pas. Y paraît que je lis Verlaine comme personne ! Tu préfères peut-être Ronsard ?

Et joignant le geste à la parole, le jeune homme exhiba de dessous sa veste un exemplaire des Odes et se mis à déclamer à la jeune femme, pétrifiée :

« Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil. »

Les personnes autour regardaient la scène, l’air ahuri, visiblement choquées.

Tout le monde restait interdit d’effroi, à s’observer les uns les autres, en espérant que quelqu’un réagisse…

Finalement, une idée me vint et, m’approchant d’elle avec un grand sourire, je lui fis :

— Hey, salut cousine ! Je ne t’avais pas reconnu sur le coup, qu’est-ce que tu deviens ?

— Hey, salut Gaston, répondit-elle, jouant le jeu. Ça va bien et toi ?

Regardant tour à tour le harceleur et sa victime :

— Excusez-moi, je ne vous dérange pas au moins ?

Le jeune homme grommela quelques mots incompréhensibles puis s’éloigna. Quand il fut assez éloigné, la jeune femme me confia :

— Merci de m’avoir aidé à me débarrasser de ce relou… De manière si originale qui plus est ! Écoutez, si vous voulez, ça me ferait plaisir de baiser un peu avec vous autour d’un café un de ces jours ! Voici ma carte :

Jocelyne Durand
Journaliste
69 rue Rocco Siffredi
75 014 PARIS

C’est une petite rue adjacente à l’avenue Laure Sainclair, près de la station Ovidie.

— Votre nom me dit quelque chose… Vous n’auriez pas écrit des livres ?

— Si, plusieurs même !

— Il me semble en avoir feuilleté un une fois dans une bibliothèque… Attendez, j’essaye de me souvenir du titre… Oui, voilà, ça m’est revenu : Découvrir la polypoésie. Très intéressant !

— Merci ! Si le sujet vous intéresse, j’avais également écrit un autre livre sur la non-exclusivité poétique : Peut-on faire de la poésie avec plusieurs personnes ?

Le sujet m’intéressait évidemment. A un point qu’elle n’imaginait pas. Mis en confiance par ces échanges, je lui expliquai ma problématique du moment.

— J’ai prévu de parler à mon épouse ce soir, au Rock Café.

Les dieux étaient avec moi :

— Ah, quelle coïncidence, me dit-elle. J’ai justement prévu de m’y rendre également !

— Serait-ce abusé si je vous demandais de… comme qui dirait « m’épauler », ce soir, avec ma femme ?

— J’allais vous le proposer. Si vous avez besoin d’un appui logistique, je serai dans les parages…

Arrivé à ma station, nous nous saluâmes avec un baiser fougueux, et je gagnai mon lieu de travail. Je bossais, un peu malgré moi, dans un lycée privé catholique assez réac on va dire, bien que sous contrat avec l’État. J’étais documentaliste. En salle des professeurs, l’ambiance était assez agitée. La ministre venait de proposer l’introduction de cours d’éducation poétique dès l’école primaire, et cette proposition faisait vif débat. La Conférence des Évêques de France avait exprimé ses plus profondes réserves quant à cette idée qui, selon elle, risquait de corrompre la jeunesse.

*
*     *

La religion avait fait beaucoup de mal à la poésie. Mon arrière-grand-père m’expliquait que lorsqu’il était jeune, les choses étaient complètement différentes. C’était le sexe qui était tabou. Il m’expliquait que c’était lié à sa fonction reproductrice ainsi qu’à des questions de prophylaxie. Depuis qu’on avait développé des techniques contraceptives efficaces à 100 %, réversibles, et sans effet secondaire, qu’on avait découvert des traitements permettant de guérir de toutes les IST, Sida y compris, une intense libération sexuelle avait touché peu à peu l’ensemble de la planète. Les grandes religions avaient fini par céder, avec un train de retard…

L’Église catholique qui avait déjà perdu la plupart de ses fidèles et qui s’était fortement compromise avec des affaires de pédophilie n’avait pas eu le choix que de revoir sa doctrine, tout en réécrivant l’histoire et en prétendant qu’elle ne s’était jamais vraiment opposée à la liberté sexuelle…

Mais pourquoi avoir reporté sur la poésie tous les tabous et interdits ? Mon arrière-grand-père m’expliquait que durant la Troisième Guerre Mondiale, une nouvelle drogue s’était répandue. Les soldats en consommaient pour tenir le coup.

Cette drogue n’avait rien de commun avec les autres de par son accoutumance faible, son degré de toxicité nul, son caractère bon marché, et surtout la particularité de ses effets. En effet, quand vous consommiez cette drogue, vous aviez d’abord l’impression qu’il ne s’était rien passé.

Mais en lisant ou écrivant de la poésie, cela vous poussait peu à peu dans un état d’extase qui pouvait dépasser de dix fois l’intensité d’un orgasme sexuel.

Avec un partenaire, l’effet était encore accentué, avec un sentiment de fusion et de communion sans pareil.

Bientôt, le sexe, qui n’était plus entravé par aucun tabou, et qui donnait des sensations inférieures à cette drogue, fut relégué au rang d’activité complètement banale, sociale, de loisir parmi d’autres, après les années d’euphorie qu’avait généré sa libéralisation.

Le succès de cette drogue fut tel que durant ces sombres années de guerre, on peut dire que presque tout le monde en consomma, plus ou moins régulièrement, avec assez de désinvolture et un recul insuffisant sur les effets à long terme. Les bibliothèques de poésie, devenus les nouveaux clubs libertins, explosèrent dans le monde, dans un premier temps.

Une génération passa. Les experts sonnèrent alors l’alerte. Des études scientifiques avaient mis en évidence qu’une mutation des cellules germinales était engendrée par la drogue.

Cette mutation avait des conséquences sur la descendance. Des études mesurèrent l’impact sur celles-ci. Pour les mutants, la drogue était devenue inutile. Leur configuration neurologique était telle que des effets en tout point similaires à ceux de la drogue se produisaient à présent, mais sans drogue. Malgré les experts, la consommation de drogue continua. Et peu à peu, en deux générations, pratiquement tout le monde était porteur de la mutation. Il y a cependant de rares personnes, dites apoétiques, qui ne la possèdent pas et pour qui la poésie ne présente pas spécialement d’attrait. Elles sont souvent considérées comme coincées alors que ça n’a rien d’un choix ou d’un rigorisme moral intériorisé. Il s’agit d’une orientation poétique à part entière, et qu’il convient de visibiliser, surtout avec toutes ces injonctions à la poésie qui sont véhiculées par la société.

D’après mon arrière-grand-père, le gouvernement mondial qui finit par se mettre en place au sortir de la guerre afin d’éviter un nouveau conflit fit tout pour étouffer la vérité et réécrire l’histoire. Seuls quelques anciens se souviennent du monde comme il était vraiment avant la Troisième Guerre Mondiale, et cette mémoire disparaît avec ceux qui la portent. J’avoue que je ne sais pas trop qui croire entre la version officielle et celle de mon arrière-grand-père.

Que le sexe ait été tabou un jour comme l’est aujourd’hui la poésie semble une idée si saugrenue. Parfois je me dis que mon arrière-grand-père n’avait plus toute sa tête à cause de la vieillesse, ou bien qu’il avait reçu un éclat d’obus au cerveau durant la Troisième Guerre Mondiale…

*
*     *

Ne voulant pas participer à ce débat en salle des professeurs, débat pour lequel j’avais déjà donné de moi amplement en tant que défenseur du projet de loi, je me dirigeai vers la machine à café où deux collègues discutaient de leur vie sentimentale et poétique respective…

— Alors, Josiane, fit l’une, il paraît que Damien t’a invité à dîner l’autre jour ?

— Oui… Honnêtement, j’ai hésité, puis je me suis dit qu’il valait mieux que je sois clair avec lui tout de suite, que je ne le laisse pas espérer quoi que ce soit…

— Il ne t’intéresse pas ?

— Bah il est gentil, intelligent, au lit il assure, et il a beaucoup de conversation. Discuter avec lui est très enrichissant et nous avons beaucoup de points communs, beaucoup de valeurs communes…

— Ben alors ? Il paraît que poétiquement c’est un as également d’après ce que m’avait raconté son ex !

— Je n’en doute pas. Mais tu vois, je pense qu’il ne suffit pas de bien s’entendre avec quelqu’un et qu’il soit doué poétiquement parlant pour avoir envie de faire et de lire de la poésie avec lui. Il faut un petit je-ne-sais-quoi, une étincelle qui te donne envie de partager de la poésie avec cette personne en particulier. Je veux dire, la poésie, c’est pas comme le sexe tu vois. Tu peux avoir du sexe avec un peu tout le monde à partir du moment où tu es amie avec, que vous avez une bonne entente, qu’il n’est pas moche et qu’il se débrouille bien. Mais la poésie, c’est différent, c’est le domaine de l’irrationnel. Ça ne s’explique pas. L’attirance poétique vient et part sans raison, on ne sait pas trop pourquoi. Peut-être est-ce un détail dans le timbre de la voix qui va te rappeler un événement de ton enfance, ça peut être la couleur des lacets de la personne qui va te marquer et te donner envie d’avoir des rapports poétiques avec lui. Je pense que pour l’essentiel, c’est biochimique, les phéromones poétiques, tout ça…

Damien, je le connaissais bien. Il était professeur de sexe. Lorsque j’avais été muté dans ce lycée, il m’avait tout de suite pris sous son aile, m’avait fait découvrir tous les recoins de l’établissement, m’avait présenté à tous les collègues. C’était quelqu’un sur qui on pouvait compter. Il était devenu un ami de la famille, et quelques fois nous l’invitions à la maison pour manger, discuter, boire un verre, faire du jeu de rôle, faire du sexe, etc. Tout se passait bien. Mais Damien était au fond de lui malheureux.

Lorsque je l’ai rencontré, il sortait d’une longue relation poétique de 8 ans. Depuis, et cela faisait bien 10 ans à présent, il n’avait jamais retrouvé personne d’autre qui voulait de lui, pas même pour une petite aventure poétique d’un soir. Il avait été tenté d’aller voir des travailleuses du texte. Mais il me disait :

— A quoi bon payer pour de la poésie sans amour alors que je peux avoir gratuitement de la poésie par amour ? La poésie sans amour ce n’est qu’un ensemble de vers et de rimes, rien de plus.

C’était peut-être un peu sournois de ma part, j’avoue, mais j’espérais confusément qu’il puisse se passer quelque chose entre Damien et ma femme, ou entre Damien et Sarah, et idéalement même avec les deux. Je me serais senti un peu dédouané par rapport à ma propre situation…

*
*     *

19h00, Rock Café.

Je savais que la slam session ne débuterait pas tout de suite, mais je voulais être en avance, afin de m’imprégner du lieu, avant d’être confronté à ma femme. Je me répétais dans ma tête comment je pourrais lui annoncer la chose. J’espérais que Jocelyne Durand n’oublierait pas notre rendez-vous. Quelques personnes qui avaient préparé des chorégraphies érotiques étaient déjà là, en train de répéter.

Si vous ne connaissez pas le concept de slam sex, un petit détour par Wikipedia s’impose :

« En anglais, Slam Sex signifie schelem de sexe, comme on parle de schelem dans les tournois de rugby, de tennis ou de bridge.

Les scènes slam prennent la forme ludique d’une rencontre sportive, impliquant une participation du public, un jury populaire étant désigné dans l’assistance. Les scènes réunissent des hardeurs d’origine, d’inspiration et de styles variés, formant un spectacle populaire et démocratique. Cinq personnes du jury, désigné dans le public présent, attribuent un score à la fin du passage de chaque hardeur. Les 5 hardeurs avec le plus fort score passent au deuxième tour et ont donc ainsi le droit de réaliser une scène sexuelle de plus. Le hardeur avec le plus grand score gagne le slam. Et c’est de cette manière que sont sélectionnés les hardeurs qui représentent leur communauté lors de tournois nationaux. Ludiques par essence, les slams de sexe prennent la forme d’une rencontre sportive, impliquant donc une participation du public. La notion de tournoi est essentielle en slam sexe ; ce mouvement est vecteur de valeurs essentielles telles que le partage, la démocratie et le dépassement des barrières sociales qui n’ont rien à voir avec la carrière individuelle et le show business. »

Ma femme arriva au bout d’un quart d’heure. Nous échangeâmes discrètement quelques petits vers, malicieusement. Elle semblait assez nerveuse.

— Tout va bien Gisèle ? Tu as l’air préoccupée…

— Oui, enfin si on veut. J’ai découvert des livres de poésie sous l’oreiller de notre fils…

— Il a 16 ans chérie, ce sont des choses de son âge !

— Oui mais il y avait du Victor Hugo, du Arthur Rimbaud, du Alfred de Musset, etc.
Des hommes quoi !

— Tu penses que Guillaume est homopoétique ?

— Je ne sais pas, mais je m’inquiète…

— C’est sa vie Gisèle. A partir du moment où il est heureux, c’est tout ce qui compte !

— Mais notre société est tellement dans le jugement sur tout ce qui tourne autour des pratiques poétiques. Dès que l’on sort un peu de la norme, c’est la croix et la bannière.

Cela faisait une trop belle occasion à saisir pour lui parler de ma propre déviance polypoétique…

— A propos de normes poétiques, chérie, il faut que l’on parle.

— Oui, moi aussi j’ai des choses à te dire, mais je ne sais pas par quel bout commencer. Vas-y toi.

Je ne savais pas non plus comment aborder le sujet. Je tentai une approche par les généralités.

— A propos de normes poétiques, y a-t-il des choses qui te choqueraient personnellement en matière de poésie, dans toutes ces soi-disant déviances réprouvées par notre société ?

Son visage prit un teint blême.

— Euh, non, je ne crois pas. Euh, et toi ?

— Je ne pense pas non plus. Donc, par exemple, tu pourrais concevoir d’avoir des relations poétiques avec d’autres hommes que moi, comme cela se fait dans les couples libertins ?

Son visage se décomposa littéralement. Mon cœur s’accéléra. Je me dis que c’était de très mauvaise augure pour la suite…

— OK, reprit-elle, je vois que tu as compris. Je t’avoue tout !

Mon cœur arrêta net sa course folle, et mes yeux s’écarquillèrent de surprise. Mais avant que je puisse répondre quoi que ce soit, une autre surprise arriva, puisqu’une voix qui ne m’était pas inconnue nous interpella :

— Oh non, Marc, Gisèle, j’y crois pas, le monde est petit, vous êtes donc ensemble !

Jocelyne Durand, puisque c’était elle qui venait de parler, nous contempla d’un air malicieux.

— Mon « travail » va s’en trouver considérablement facilité !

Jocelyne nous fit un baiser pleine bouche chaleureux et s’attabla avec nous. Elle avait rencontré Gisèle dans la salle d’attente du poéticologue. Elles avaient rapidement sympathisé et discuté de polypoésie. Gisèle lui avait confié sa gêne par rapport à moi car cela faisait quelques mois qu’elle était en relation poétique passionnée avec un autre homme que moi, un ami de la famille qui plus est, et elle ne savait pas comment me l’annoncer sans me blesser, sans que je me mette en colère ou la quitte. Et cet ami de la famille n’était autre que… Damien ! Ce fut un grand soulagement pour moi, et c’est très naturellement que j’expliquai à Gisèle ma relation poétique avec Sarah. Nous rîmes tous les trois de bon cœur face au cocasse de la situation.

Le slam sex commença.

Nous regardâmes le spectacle apaisés. Ce fut un très bon moment de tendresse et d’amour. Il me restait encore à exposer à Sarah la tournure originale qu’avait pris la situation, en espérant trouver les mots justes, mais sans lui mettre de pression, avec délicatesse. Je savais pouvoir compter sur Jocelyne pour m’accompagner dans cette démarche… et à présent sur mon épouse, Gisèle.

En regardant le slam sex, il me vint une pensée à l’esprit. Une pensée qui, je l’espère, pourrait m’aider à expliquer à Sarah comment je voyais les relations interpersonnelles. Cette pensée, c’était que la poésie, au fond, n’était jamais que l’érotisme des mots.

FIN.